55.
— Voici le cinquième carré, président.
Lamia était entrée dans le sous-sol du pavillon vêtue de ses vêtements noirs de rigueur. Sa longue chevelure blonde retombait en cascade sur son dos. C’était ici, en dessous de la grande salle de réception, que se tenaient les réunions confidentielles de leur société. Celles auxquelles tous les membres n’étaient pas admis.
C’était une longue cave voûtée en pierre, dont les deux murs latéraux étaient couverts de tentures noires à liserés jaunes. Au centre, une table de réunion rectangulaire pouvait recevoir une trentaine de personnes. Des micros flexibles étaient disposés tout autour du meuble, en face de chaque siège. Des spots, habilement dissimulés au sol, derrière les draperies, dessinaient sur les murs des courbes orangées et diffusaient dans la pièce une élégante lumière indirecte. Tout au fond de la salle, à nouveau, le symbole de l’ordre – un soleil noir formé de plusieurs swastikas entrecroisés – était brodé sur un grand drap jaune. Celui-ci était flanqué d’une armoire et d’une bibliothèque remplie d’ouvrages spécialisés et de classeurs, lesquels renfermaient une partie des archives internes. Sur le mur de l’entrée, enfin, on avait attaché une galerie de portraits qui figuraient les plus illustres membres du groupe depuis son origine. Il y avait bien sûr une photo de Karl Haushofer, le fondateur, mais aussi d’Adolf Hitler en personne, ou d’autres encore comme Alfred Rosenberg, Rudolf Hess ou Hermann Göring. En dessous, enfin, étaient alignés les portraits de quelques éminents membres de la branche française de la société. La police aurait été étonnée d’y constater la présence de certains hommes politiques ou de grands scientifiques de renom… Mais l’ordre savait conserver sa confidentialité.
Assis au bout de la table, Albert Khron prit le boîtier que la jeune femme lui tendait et l’ouvrit devant lui, le regard brillant.
Il inspecta le parchemin en souriant, comme un enfant à qui l’on vient d’offrir un cadeau longtemps espéré, puis il referma la boîte et leva les yeux vers Lamia.
— On me dit que vous avez eu des problèmes…
— Mackenzie était sur les lieux avant moi. J’ai récupéré le carré, mais je n’ai pas pu me débarrasser de lui. Et surtout, je n’ai pas pu exécuter le rituel.
— Cela n’a pas vraiment d’importance.
— Cela en a pour moi.
Le vieil homme se leva et glissa le boîtier dans un attaché-case posé sur la table à côté de lui.
— Votre rituel, Lamia, n’a qu’une valeur symbolique.
— Oui. Et vous connaissez aussi bien que moi l’importance des symboles. C’est vous-même qui me l’avez enseignée.
Albert Khron fit un geste las de la main.
— Bien sûr, bien sûr. Mais vous et moi sommes au-delà de tout ceci, Lamia. Aujourd’hui, le principal est de récupérer ces pages. Tant que nous ne les aurons pas toutes, nous ne pourrons trouver ce que nous cherchons. C’est notre priorité.
— Je dois me débarrasser de Mackenzie, lâcha la jeune femme d’une voix sèche.
— Notre associé s’en occupe.
— Il devait déjà s’en occuper avant. Il a échoué.
Albert Khron fronça les sourcils. Il ne s’était jamais habitué à la froideur de cette femme. Elle était encore plus dure qu’il ne l’était lui-même, plus intransigeante. Jusqu’à présent, il était parvenu à canaliser son énergie, sa rigueur, et à les mettre au service de leur ordre. Lamia était sans conteste le maillon le plus important de leur chaîne. Mais aussi, en conséquence, le plus dangereux, s’il venait à lâcher. Il espérait seulement qu’elle ne se retournerait jamais contre lui, parce qu’il savait qu’elle ferait un ennemi redoutable.
— Cette fois, il n’échouera pas.
— J’aimerais vous croire, président. Mackenzie à lui seul menace tout notre projet. Il est bien plus dangereux que nous ne pouvons…
— Ne discutez pas, coupa le vieil homme.
Albert Khron savait comment fonctionnait cette femme. Elle n’avait de respect que pour la force et l’autorité. Il n’hésitait jamais à en user avec elle, car c’était le meilleur moyen de conserver sa considération.
— Je vous ai dit que nous nous chargions de lui, un point c’est tout. Il ne vous reste plus qu’à vous procurer le dernier carré. Vous avez un long voyage à faire…
— Tous ces voyages ne sont rien à côté de celui qui nous attend.
Albert Khron acquiesça en souriant.
— Vous avez raison, Lamia, vous avez raison ! Allons. Ne perdez pas de temps. Il nous faut le dernier carré au plus vite.
La jeune femme inclina respectueusement la tête. Puis elle resta immobile, les yeux rivés sur l’attaché-case du vieil homme.
Khron fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous attendez, Lamia ?
Elle releva la tête, le regard brillant, se mordit les lèvres d’un air pensif, puis elle fit volte-face et sortit prestement.